L’arrivée des troupes
À partir de juin 1940, le château du Bourg-Saint-Léonard change radicalement de visage. Après les premiers jours d’occupation, marqués par le passage incessant de colonnes motorisées, le domaine devient un point de cantonnement. Des camions s’installent dans le parc, les cuisines roulantes se dressent près de l’étang, et les pelouses, autrefois lieu de promenade, se couvrent de tentes et de baraquements.
Les soldats allemands se baignent dans l’étang, jouent au football ou au tennis dans les jardins à la française. Cette occupation bruyante et visible contraste avec la quiétude habituelle du domaine. Madame de Forceville, spectatrice impuissante, note dans son journal :
« Les camions sont installés dans tout le parc, couvrant les pelouses côté étang ; les cuisines roulantes sont dressées partout. »

Le rez-de-chaussée réquisitionné
Le 8 juillet 1940, un général prend officiellement possession du château et installe son état-major. Les pièces du rez-de-chaussée, jadis réservées aux réceptions et à la vie de famille, sont transformées en bureaux militaires.
- Le grand et le petit salon deviennent des bureaux pour les officiers.
- Le hall d’entrée est transformé en bureau pour les soldats.
- La salle à manger devient le bureau particulier du général.
- La bibliothèque est réaffectée en salle de repas et de détente pour les officiers.
Chaque pièce change de fonction. Le mobilier est déplacé, des cartes couvrent les murs, des téléphones et radios sont installés. Dans les caves, une salle de transmission est aménagée, décorée et équipée pour les opérateurs.
Madame de Forceville ressent douloureusement ces transformations. Elle écrit :
« Je suis triste, nerveuse et désespérée quand je vois mon grand salon complètement occupé. »
Les chambres aussi occupées
À l’étage, la réquisition continue. La chambre du roi est attribuée au général, la grande chambre de la propriétaire à un colonel, d’autres pièces aux lieutenants. Madame de Forceville se retrouve réduite à n’occuper qu’une petite chambre et un bureau.
Le toit du château sert même de plateforme d’artillerie : un canon y est installé temporairement, avant d’être déplacé dans le jardin. Les allées et venues de soldats dans les escaliers, les postes de radio qui fonctionnent jour et nuit, rappellent sans cesse la perte d’intimité de la châtelaine.
La cuisine et le quotidien
La cuisine est également investie par les Allemands. Plusieurs chefs et cuisiniers militaires y préparent les repas de l’état-major. Jusqu’à 160 repas par jour sont servis au château. Un immense réfrigérateur est installé dans l’arrière-cuisine.
Parallèlement, une grande baraque en bois est construite près de l’orangerie pour loger les soldats chargés de l’administration. Cette structure, avec eau courante, électricité et poêles, témoigne de la volonté allemande de s’installer dans la durée.

Concerts, fêtes et propagande
L’occupation n’est pas seulement militaire : elle est aussi culturelle et psychologique. Les officiers organisent concerts et fêtes dans le château. Madame de Forceville assiste, le cœur lourd, à un spectacle organisé en juin 1940 dans le hall, avec piano, chants et champagne :
« J’entends des chants vraiment beaux, mais pour moi française, mon cœur souffre. »
Ces événements rappellent que le château, lieu d’élégance et de sociabilité, est désormais mis au service d’une armée étrangère.
Conclusion
En 1940-41, le château du Bourg-Saint-Léonard est transformé en véritable quartier général allemand. Bureaux, transmissions, cantonnements, cuisines, tout est réquisitionné. Le domaine n’est plus un lieu privé, mais un instrument au service de l’occupant.
Pour Madame de Forceville, la dépossession est autant matérielle que morale. Son journal en garde la mémoire : entre résignation et dignité, elle témoigne de ce que fut l’Occupation vécue de l’intérieur, dans les murs mêmes d’un château normand.