En juin 1940, la Seconde Guerre mondiale bouleverse brutalement la vie quotidienne en Normandie. Le château du Bourg-Saint-Léonard, jusqu’alors paisible demeure aristocratique, devient un témoin privilégié de cette période tragique. Sa propriétaire, Madame de Forceville, âgée de 72 ans, rédige un journal intime qui nous livre, plus de 80 ans après, un récit saisissant. Grâce à ses mots, nous découvrons non seulement les grandes étapes de l’invasion allemande, mais aussi les émotions profondes d’une femme confrontée à l’Histoire dans ses murs.
L’exode et l’angoisse du printemps 1940
Le journal débute par le rappel d’un contexte dramatique. Depuis le 1er septembre 1939, la guerre pèse sur la France, mais c’est au printemps 1940 que la situation bascule. Après la percée allemande dans la Meuse et l’effondrement de nos lignes, l’Orne est traversée par des vagues de réfugiés belges et français. Madame de Forceville décrit ces familles fuyant vers le sud, cherchant une hospitalité passagère. Le château devient alors un refuge temporaire. Cette première expérience annonce déjà l’instabilité à venir.

Cette scène illustre l’exode massif qui a traversé toute la Normandie et qui marquera les mémoires.
Le 18 juin 1940 : l’occupation s’installe
La date du 18 juin est gravée dans la mémoire nationale comme celle de l’appel du général de Gaulle. Pour Madame de Forceville, ce jour marque surtout l’arrivée concrète des Allemands au château. Elle note dans son journal :
« En entrant dans la salle à manger je m’aperçois qu’une petite pendule et une ‘Writing Case’, souvenirs auxquels je tenais beaucoup, ont disparu. Ceci ajoute à l’état de mon cœur profondément angoissé. »
Derrière la perte d’objets personnels se cache une réalité plus douloureuse : la maison n’est plus un sanctuaire. Elle est devenue un lieu occupé, traversé par des militaires, où l’intimité se dissout. La guerre n’est plus au loin, elle est là, dans la salle à manger.
Quand le patrimoine devient quartier général
Dans les jours suivants, le château est transformé :
- les salons deviennent des bureaux,
- la salle à manger est réquisitionnée pour le général,
- les caves accueillent radio et téléphone,
- le parc se remplit de camions et de cuisines roulantes.
Cette transformation du patrimoine n’est pas isolée. Partout en France, les grandes demeures sont investies par l’armée allemande.

À Versailles comme au Bourg-Saint-Léonard, l’occupation détourne des lieux symboliques de leur vocation historique pour en faire des outils militaires.
Transformation du château en quartier général
Dans les jours qui suivent, l’organisation militaire se met en place. Les camions allemands envahissent le parc, des cuisines roulantes s’installent, les salons sont transformés en bureaux et les caves accueillent des postes de radio. Le château change d’identité : de demeure familiale, il devient quartier général. Madame de Forceville décrit les mouvements incessants, le bruit des motos, les soldats se baignant dans l’étang ou jouant au football dans le jardin à la française.
Cette cohabitation forcée est un choc. Elle oscille entre résignation et dignité, essayant de préserver ce qu’elle peut de son domaine. Elle confie aussi sa peine de voir ses grands salons envahis par des cartes militaires et ses meubles dispersés pour loger l’état-major.
Une vie quotidienne bouleversée
La description de la vie au château en juin 1940 révèle un contraste saisissant. D’un côté, les officiers organisent des fêtes, des concerts et des repas animés. De l’autre, la châtelaine pleure en silence, incapable de reconnaître dans ces réjouissances militaires l’élégance qu’elle avait connue autrefois. Elle écrit :
« J’entends des chants vraiment beaux ; mais pour moi, Française, dans cette belle demeure où j’avais toujours rêvé une jolie fête poudrée : mon cœur souffre. »
Ce témoignage illustre la brutalité de l’Occupation : même dans un cadre somptueux, l’angoisse et le sentiment de dépossession dominent.
Le poids de l’Histoire dans les murs du château
L’installation de l’armée allemande n’est pas un simple épisode. Elle marque durablement l’histoire du Bourg-Saint-Léonard. Madame de Forceville, par son journal, nous transmet une mémoire précieuse : celle d’une propriétaire confrontée à la guerre dans ce qu’elle a de plus intime. Son écriture, mêlant simplicité et émotion, nous plonge dans une époque où chaque bruit de moteur, chaque disparition d’objet, chaque nouvelle rumeur bouleversait la vie quotidienne.
Conclusion
En juin 1940, le château du Bourg-Saint-Léonard devient bien plus qu’un monument patrimonial : il se transforme en témoin vivant de l’Occupation. Les pages de Madame de Forceville racontent cette bascule avec une authenticité bouleversante. Aujourd’hui, en relisant ses souvenirs, nous mesurons combien la grande Histoire se tisse aussi dans les récits personnels, dans le détail d’une pendule disparue ou d’un dîner imposé dans le hall du château.
👉 Pour découvrir plus d’extraits et la chronologie complète du journal : Souvenirs de guerre – Mme de Forceville